Passage au Open studios summer de La Becque, résidence d’artistes à la Tour-de-Peilz
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Appartement-studio C5
Dans l’appartement-studio d’Esraa Elfeky, il y a tout un univers. Un univers formel tout d’abord, fait de motifs hybrides, qui interpellent, et puis un univers intermédial, puisqu’on y trouve de la sculpture, du dessin, du film, le tout agencé en installation. L’atelier est un microcosme dédié aux recherches de la praticienne, vraie artiste-exploratrice, qui réfléchit au monde qui l’entoure. Un monde qu’elle expérimente elle-même, car elle s’y rend, marche, collecte des objets, filme…
Tout cela se retrouve dans What is Beyond you, projet en cours qu’elle présente aux ateliers ouverts de la résidence suisse d’artistes La Becque. Le titre pourrait évoquer à la fois le rapport du corps à l’espace, au terrain qu’elle étudie, « ce qu’il y a derrière toi », et puis ce qui nous échappe, ce à quoi on ne veut pas faire face ou, du moins, qu’on ne saurait contrôler.
L’installation est composée de dessins accrochés au mur, de sculptures en céramiques, de documents d’illustrations scientifiques de la nature posés à côté de sculptures et surtout sur un bureau, et puis d’objets naturels disposés dans le meuble qui jouxte le mur sur lequel est projeté un film qu’elle a réalisé.
Cheminement – du Sinaï à la Tour-de-Peilz
Esraa Elfeky a commencé ce projet dans la région du Sinaï, en Egypte, son pays d’origine. Elle réfléchit au monde naturel, à ses catastrophes et à comment les différentes espèces s’adaptent pour survivre. Son objet d’étude est le papillon. Elle fait ses recherches directement dans l’environnement de celui-ci, elle le documente par ses propres collectes et productions, et elle consulte des ouvrages scientifiques, observe leurs illustrations puis s’en inspire.
Ses résultats apparaissent dans les différents objets qu’elle crée, à travers sa pratique de plusieurs médiums. Il y a donc l’expérience (le terrain) et la réalisation (l’objet). La réalisation est toujours en cours, puisqu’il s’agit d’un work in progress.
C’est un moment opportun pour moi d’engager la conversation avec cette artiste, très ouverte aux questions, et de comprendre le flux de ses idées, d’observer, sur un court instant, la construction de ses résultats.
Il s’agit du cheminement d’une artiste dans son projet qui relie l’environnement dans lequel elle vit avec celui du lieu de sa résidence artistique.
Ce cheminement est-il sans fin ?
Les espèces continueront de s’adapter, jusqu’à l’extinction, reliant hommes et animaux, qui devront s’acclimater tant bien que mal, avec ou sans l’autre, au sein d’une nature qui elle-même changera – change déjà.
Une poésie de l’anthropocène, qui montre à quel point ces destins sont liés et qui, à travers la pratique de l’artiste, fait surgir les formes nouvelles nées de ces interactions.
Hybridations
Le processus d’adaptation des espèces que l’artiste observe avec le papillon fait surgir un vocabulaire formel concentré sur l’hybride.
En céramique les pierres ont une allure presque molle, quasi organique, comme si le minéral se faisait insecte.
En dessin, il y a toutes ces formes étranges et colorées, qui ressemblent à des planches scientifiques. Elles n’ont pas de motifs de fond, elles sont isolées de leur environnement, sauf quelques-unes pour lesquelles des végétaux apparaissent. Elles semblent flotter dans un univers lumineux, permis par une feuille métallique sous-jacente à la feuille de calque, qui sera encore accentué, me dit l’artiste, lorsque les dessins seront sous-verre. Esraa Elfeky les dispose ainsi pour qu’on ne sache pas vraiment d’où sort le motif, qui devient presque autonome, cellulaire et qui semble être en mouvement bien que fixe. Ces formes sont presque des apparitions qui nous révèlent ce que l’artiste observe de la nature qui nous entoure. Elles nous interrogent.
Le calque utilisé demande une grande dextérité pour ne pas le froisser, le percer, lors de la réalisation de ces dessins, d’ailleurs relativement saturés de couleurs. Esraa Elfeky les réalise d’abord sur ordinateur et les copie à la main sur le calque grâce à une lumière sous-jacente. Lumière nécessaire au processus et qui resurgit par la manière dont elle les présente, grâce à la feuille métallique.
C’est la fragilité de ce matériau qui me frappe, bien que les formes qui en sortent soient consistantes et semblent presque s’en échapper. Une fragilité qui rappelle celle des ailes des papillons et peut-être celle du monde qui nous entoure, bien que sa force d’adaptation soit, quant à elle, saisissante.
Il y a un certain bouleversement, une certaine émotion, à expérimenter l’œuvre d’Esraa Elfeky, car son travail touche du doigt ce qui nous préoccupe tous-tes et révèle les mécanismes insaisissables d’une nature qui tente de survivre.
Son installation est un microcosme qui nous parle du tout et de la place que l’on y occupe.
Je remercie l’artiste pour la très plaisante conversation que nous avons eue lors de cette visite, au cœur de son projet. Son travail a été mené au sein de la nature vaudoise et il est présenté dans un atelier lui-même entouré de cette flore. J’écris ce texte moi aussi plongée dans l’environnement suisse, en face du Léman qui, ayant beau être un lac, semble s’étendre aux confins de l’Univers.
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Texte de La Becque sur ses résident-es
Liens
A propos de l’artiste
https://www.instagram.com/elfekyesraa/
Site de la Becque
Replay de Couleur 3
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Camille Philippon (8 août 2023). Brève suisse. Ce sont les regardeur-euses qui font la critique. Consulté le 14 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/126jt